Quelles histoires pour (sur)vivre dans l’anthropocène ?

Plus le réel bascule dans l’improbable, plus la place de la fiction, du spectacle, de l’art devient problématique. Justement — et si nous avions plus que jamais besoin de fictions radicales et d’artifices audacieux pour nous donner une chance de saisir ce qui nous arrive ? Une petite chance de percevoir les puissantes fictions dans lesquelles nous sommes déjà plongées et des dispositifs narratifs et sensoriels à l’intérieur desquels nous tentons tant bien que mal de tracer nos chemins ?

Ce fut une immense joie d’échanger ce mercredi avec Joris Mathieu et Nicolas Boudier, auteurs, artistes, metteurs en scènes, scénographes œuvrant depuis de nombreuses années au Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon, et dont la pièce La Germination arrive dans quelques jours sur la scène lyonnaise.

Grand merci à eux d’avoir accepté l’invitation de Cité Anthropocène / Radio Anthropocène. Et bien sûr à François De Gasperi, avec qui j’ai eu le grand plaisir de co-animer cette heure. Si la problématique des récits à l’heure de l’anthropocène vous préoccupe ou vous interpelle, offrez-vous ce podcast de nos échanges radiophoniques :

Quitter sa langue natale, écrire en français

Jean-Pascal Dubost et Florence Trocmé du site Poesibao ont lancé une vaste enquête à ce sujet. Je reproduis ici ma contribution, publiée le 15 février 2023 :

Tout ceci n’a jamais été clair. Et aujourd’hui encore, plus que jamais, je me demande. Que s’est-il passé ? De quoi s’agit-il ? Est-ce une greffe ? Une mutation ? Une histoire de parasitisme ? Suis-je l’organisme hôte ? Le convive ? Si seulement l’affaire relevait du visible… En regardant de très près, on finirait sûrement par distinguer des cellules, par séparer les corps, peut-être par identifier, dans l’enchevêtrement des organes divers et variés, des tissus anciens, des moignons, des membres atrophiés. Conviendrait-il alors de parler encore de la langue maternelle ?

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Les grands défis

Dans un futur musée de notre époque, il y aura toute une aile dédiée aux pratiques extrêmes. Aux sauts dans le vide depuis les viaducs ferroviaires situés auprès des villages en voie de reconversion économique, par exemple, à l’art de glisser sur les infrastructures urbaines, aux mangeurs de l’extrême, aux convoyeurs de l’extrême, ou encore — et cela mériterait une salle à part — à la motivation extrême. À cette pratique qui consiste à se fixer des objectifs pour ensuite être pris de vertige devant l’abîme qui nous en sépare, puis à se nourrir méthodiquement de ce vertige pour provoquer des états de conscience altérée susceptibles de combler le gouffre de la réalité en faisant intervenir les puissances psychiques occultes. Les visiteurs pourront ainsi découvrir et apprécier nos milles et une stratégies pour accomplir une telle ou telle tâche administrative, ils apprendront enfin comment on s’y prenait jadis pour effectuer les sauvegardes de Mes Documents sur un disque externe, bref — tout l’art de relever individuellement les grands défis de notre époque sera exposé aux regards des visiteurs du futur qui sauront dès lors que la vie harmonieuse qu’ils ont le loisir de mener est le fruit d’anciennes pratiques motivationnelles extrêmes dont l’originalité et l’efficacité ne pouvaient tôt ou tard aboutir qu’à quelque chose de proprement monumental.